• FR
  • EN
  • IA, traduction et droit d’auteur

    Les traductions peuvent-elles bénéficier de la protection du droit d’auteur ? Et quelles sont les éventuelles répercussions de l’IA dans l’univers de la traduction ?

    La question de la protection des traductions par le droit d’auteur n’est pas nouvelle en droit français. La loi, la jurisprudence et la doctrine définissent les conditions que doit réunir une traduction pour relever du droit d’auteur.

    Comme l’expose très précisément Maître Alexis Fournol dans son article publié le 5 septembre 2023 (1), l’article L. 112-3 du Code de la propriété intellectuelle prévoit une présomption d’originalité : « Les auteurs de traductions, d’adaptations, transformations ou arrangements des œuvres de l’esprit jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale. » En d’autres termes, cette originalité n’est pas acquise de plein droit mais doit être démontrée, hormis pour les œuvres de l’esprit, notamment « les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques », selon l’article L. 112-2.

    Il convient donc de faire le distinguo entre d’une part, les traductions dites « littéraires » et d’autre part, les traductions dites « pragmatiques ». Dans le premier cas, le traducteur est considéré juridiquement comme un auteur et la traduction comme une œuvre de l’esprit originale.(2)

    Dans le cas de traductions « pragmatiques », les critères définissant l’originalité peuvent être recherchés dans la jurisprudence, et notamment dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 6 février 2002(3) qui précise que « des traductions de textes préexistants peuvent être protégées comme des œuvres originales, même si elles portent sur des archives étrangères accessibles au public, dès lors que ces traductions portent la marque de l’apport intellectuel et personnel de leur auteur notamment par le choix des mots et la construction des phrases utilisées pour exprimer en français le sens des textes étudiés ». Dans son arrêt du 7 juin 2016(4), la Cour adopte une interprétation plus restrictive, et précise que « pour bénéficier de cette protection, la traduction, tout en restant fidèle à l’œuvre première, doit révéler l’existence d’un dialogue intime avec celle-ci dans lequel se révèle la personnalité et l’activité créative du traducteur ». Par conséquent, les conditions que doit réunir une traduction pour prétendre à la protection du droit d’auteur sont relativement strictes, puisqu’il ne s’agit, par essence, que d’une œuvre dérivée de l’œuvre originale.

    La différence entre traductions littéraires et traductions pragmatiques s’exprime également dans leur mode de rémunération. Ainsi, les traductions littéraires sont rémunérées en droit d’auteur en vertu d’un contrat de cession de droits (articles L. 132-1 et suivants du CPI). Il s’agit d’un pourcentage des recettes hors taxes provenant de la vente du livre qui dépend de différents facteurs, notamment le volume à traduire, la nature de l’ouvrage, le type de collection (de poche, par exemple), le mode de publication (livre numérique ou papier), la notoriété de l’auteur de l’œuvre originale et la notoriété du traducteur. Les traductions dites « pragmatiques » sont, quant à elles, facturées en honoraires, calculés au nombre de mots, de pages ou de lignes sources ou cibles. Le tarif varie notamment en fonction de la complexité du document et du délai de restitution plus ou moins urgent.

    Mais cette subdivision est-elle toujours aussi pertinente avec l’avènement de la traduction dite neuronale, c’est-à-dire alimentée par l’intelligence artificielle (IA) ?

    L’enrichissement des données de l’IA avec des traductions récentes remet, dans certains cas, en cause le droit de propriété intellectuelle de l’auteur. Et c’est précisément la position adoptée par le New York Times qui reproche à OpenAi d’avoir utilisé son travail « pour développer et commercialiser leurs produits d’intelligence artificielle générative »(5) . Cette position peut d’autant plus être transposée dans l’univers de la traduction que les documents des entreprises et leur traduction ne sont pas nécessairement accessibles en ligne.

    Prenons un exemple pour illustrer ce propos. Une entreprise fait appel à une agence de traduction pour traduire la présentation de sa nouvelle collection en anglais. Ce document sera transmis à une clientèle confidentielle ainsi qu’à des journalistes triés sur le volet. L’entreprise est à la fois propriétaire du document original et de sa traduction « pragmatique », qui en est une œuvre dérivée. Or, bien qu’ayant réalisé une traduction humaine à la demande du client, l’agence intègre cette traduction dans sa base de données pour enrichir et entraîner son IA. Elle exploite donc la propriété de l’entreprise à des fins commerciales puisque ces données serviront à la réalisation de futures traductions pour d’autres clients, alors même que le document de l’entreprise ne relève pas du domaine public…

    Dans ce cas de figure, l’agence non seulement enfreint ses obligations morales et éthiques envers le client, mais sans doute aussi son droit d’auteur… Les entreprises s’efforcent en permanence de créer une image de marque unique les distinguant de la concurrence. Une approche terminologique précise, des slogans, des expressions sont privilégiés afin de leur assurer une reconnaissance immédiate auprès des consommateurs. L’intégration de ces contenus dans une IA implique que certaines expressions signature risquent d’être réutilisées dans des contenus étrangers à la marque, entraînant une dilution de ses signes distinctifs.

    Pour se protéger, les entreprises n’auront d’autres choix que de renforcer les clauses de confidentialité de leurs contrats et de préciser plus systématiquement les documents qu’elles entendent protéger de toute divulgation, même indirecte. Les agences de traduction se devront, quant à elles, d’adopter des engagements forts et de les appliquer.

    Verba-Translations s’engage à respecter la confidentialité de vos documents. Aussi, nos équipes s’interdisent d’utiliser des logiciels de traduction neuronale libres d’accès (dont DeepL Translate) car les contenus renseignés sont conservés dans une optique d’amélioration de l’IA. Par ailleurs, Verba-Translations s’engage aussi à respecter votre choix. Vous souhaitez une traduction 100 % humaine ? Nos équipes de linguistes expérimentés et spécialisés dans votre domaine mobilisent leur expertise technique et leur créativité à votre service, pour vous restituer une traduction parfaitement conforme, tant sur le fond que sur la forme.

    L’IA constitue une avancée technologique majeure qui présente de nombreux avantages, notamment un gain de productivité, une réduction des coûts et une simplification de la communication. Cependant, cet outil puissant nécessite également l’instauration de garde-fous. Les pouvoirs législatifs et judiciaires seront amenés à se prononcer sur les questions juridiques soulevées par cette technologie sans précédent, tandis que le monde de l’entreprise se devra d’adopter des bonnes pratiques.

    Dans le secteur de la traduction, le choix exprès d’une traduction neuronale par un client vaut actuellement acceptation tacite de l’exploitation commerciale de ses données. Mais ne conviendrait-il pas de définir précisément ce cadre ? Par qui seront utilisées ces données, pour quelles finalités, dans quelles régions du monde, sur quelle durée ? En d’autres termes, cette acceptation tacite vaut-elle blanc-seing ?
    Et si le recours à l’IA, sans le consentement du client, pour traduire et post-éditer (c’est-à-dire corriger les erreurs et approximations de l’IA) un document ou encore pour développer ou enrichir un algorithme constitue une faute grave, quelles en seront les conséquences ? Les différents acteurs du marché disposent déjà d’un arsenal de textes législatifs, réglementaires et jurisprudentiels pour faire valoir leurs droits auprès des tribunaux. L’avenir nous dira si ces dispositifs sont suffisamment adaptés à ce nouveau paradigme ou si de nouvelles dispositions s’imposent.
    D’ici-là, Verba-Translations s’engage à rester le partenaire digne de confiance qu’elle a toujours été depuis plus de 20 ans.

    ***
    (1) « La protection des traductions par le droit d’auteur », fournol-avocat.fr, 05/09/2023 (date d’accès : le 27/09/2024)
    (2) La propriété intellectuelle du traducteur littéraire, ATLF, atlf.org, (date d’accès : le 27/09/2024)
    (3) CA Paris, 14e ch., sect. A, 6 févr. 2002, RG no 2001/17352
    (4) CA Paris, pôle 5, ch. 1, 7 juin 2016, RG no 15/03475
    (5) Le « New York Times » poursuit en justice Microsoft et OpenAI, créateur de ChatGPT, pour violation de droits d’auteur », Le Monde, le 27 décembre 2023 (date d’accès : le 27/09/2024)